Eric Bertinat – Les commissions de politique extérieure du Conseil des États et de celle du Conseil national valident le projet de mandat de négociation avec l’Union européenne préparé par le Conseil fédéral. Certes non sans émettre de nombreuses critiques sur le projet épineux d’accord visant à régler les relations avec le plus gros partenaire commercial du pays.

Pour mémoire, en 2021, le Conseil fédéral était arrivé à la conclusion que des divergences substantielles demeuraient entre la Suisse et l’UE concernant des domaines centraux de l’accord-cadre et avait décidé de ne pas le signer, mettant ainsi un terme aux négociations relatives à ce projet.

Durant la campagne des élections nationales 2023, les partis politiques avaient courageusement mis sous le boisseau la question d’une reprise des pourparlers avec l’UE. Pourtant, durant cette même période, le Conseil fédéral reprenait langue avec l’Union européenne (les fameux entretiens exploratoires), ce qui n’empêchait pas Ignazio Cassis de claironner «qu’il n’y aurait pas d’Accord institutionnel 2.0». Les élections passées, c’est l’élection du Conseil fédéral qui freine à son tour l’enthousiasme europhile des sept Sages : la présentation des négociations est mise en attente bien que les textes étaient prêts dès le mois d’octobre…

Les élections passées, la question des relations entre Berne et Bruxelles refait donc surface. Les documents publiés le 15 décembre dernier sont étudiés en commission et les rapports sont publiés.

Les réactions ne se sont pas faites attendre
Si le patronat est sans surprise enthousiaste (1) l’Union syndicale suisse (USS) a rendu publique sa réponse au Conseil fédéral (2). Sous la plume de son président, Pierre-Yves Maillard, nous apprenons qu’en l’état, le projet du Conseil fédéral affaiblit les mesures de protection des salaires en Suisse. L’USS semble prête à s’opposer aux négociations à venir sans les garanties demandées. A vérifier ! Côté partis politiques, seule l’UDC fait savoir son opposition.

Il faut lire son dernier communiqué de presse intitulé «Les autres partis veulent abandonner le modèle de réussite de la Suisse». Et de lister «Les inconvénients concrets pour l’économie et l’agriculture du projet de traité de soumission à l’UE». On y apprend que «la délégation UDC de la Commission de l’économie du Conseil national (CER-N) a déposé 22 propositions visant à clarifier la position de la Suisse vis-à-vis de l’UE tout en garantissant l’autodétermination de notre pays et les bases politico-économiques de notre modèle de réussite». Les autres partis acceptent la rédition de la Suisse aux instances européennes.

Magdalena Martullo-Blocher, conseillère nationale et membre de la CER-N rappelle que la Suisse a acquis ces avantages grâce à son indépendance. «Il serait ruineux de renoncer à cette marge de manœuvre. En se rattachant institutionnellement à l’UE, surendettée et sur-réglementée, la Suisse perdrait ses bonnes conditions-cadres et verrait sa puissance économique diminuer».

Alors que les paysans des pays membres de l’UE se mobilisent contre le diktat des technocrates de Bruxelles, Marcel Dettling, conseiller national, futur président de l’UDC et surtout agriculteur, s’inquiète à juste titre : «L’UE régnera en maître, de la ferme à l’assiette. Elle veut décider de ce qui est cultivé et de ce que le consommateur doit avoir dans son assiette. Il s’agit ici d’un assujettissement total.»

Enfin, Céline Amaudruz, conseillère nationale, également membre de la CER-N, rompt une lance avec «Les associations économiques (qui) justifient l’avantage d’un rattachement institutionnel à l’UE par le fait que la sécurité juridique s’en trouverait renforcée. Or, c’est le contraire qui se produira : la Suisse déléguerait à l’UE une grande partie de sa législation. Cela signifie une détérioration massive de la sécurité juridique. Les conditions-cadres économiques de la Suisse sont supérieures à celles de l’UE».

L’UDC n’est pas seule à combattre ces Bilatérales III. François Schaller, journaliste, membre du comité d’Autonomiesuisse, rappelait fort à propos qu’il «ne faut pas s’attendre par contre à de nombreux commentaires sur ce que le projet n’évoque nulle part. En particulier le caractère asymétrique, indivisible et lourdement irréversible de la «voie» bilatérale». Il faut lire absolument son texte en entier : La Suisse, cette colonie de peuplement (Le Temps). Et de citer «Carl Baudenbacher, ancien professeur de Saint-Gall et président de la cour de l’Association européenne de libre-échange (AELE), (qui) alerte depuis lors sur ce qu’il appelle les «traités inégaux», ces fameux actes de l’époque coloniale subordonnant juridiquement le protectorat à sa métropole dans un climat de démonstration de force. A considérer l’attirance pour le marché suisse du travail (immigration nette équivalente à la population de Neuchâtel sur six mois l’an dernier), cette métaphore historique en vient à suggérer – du côté de l’UDC mais pas seulement – que l’UE traite la Suisse comme une colonie de peuplement».

Autre son de cloche chez François Nordmann, ancien diplomate et chroniqueur, qui relève que «C’est la première fois que le Conseil fédéral invoque des considérations géostratégiques à l’appui de sa volonté de régler les questions institutionnelles soulevées par l’UE depuis 2008». Il faut sans doute comprendre par là que les pressions deviennent importantes sur la Suisse. L’ancien diplomate note également que «l’amorce d’une conviction et d’un leadership chez le conseiller fédéral Ignazio Cassis: c’est une condition sine qua non pour conduire les consultations, les négociations, les délibérations parlementaires et l’emporter lors du vote référendaire difficile qui s’annonce».

Tout n’est donc pas perdu…

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(1) « Il est urgent de rétablir des relations stables et durables avec l’Union européenne. Le projet de mandat de négociation présenté par le Conseil fédéral le 15 décembre 2023 est une base solide pour y parvenir. » – (Communiqué de l’Union patronale suisse (UPS) cosigné par Economiesuisse ainsi que 12 autres associations économiques cantonales romandes)

(2) «L’USS soutient les négociations avec l’UE à propos des bilatérales III, pour autant que la protection des salaires et le service public soient garantis». (…) Il faudra résoudre les problèmes se posant notamment dans les domaines de la déclaration de force obligatoire des conventions collectives de travail (CCT) et du travail temporaire» – (Communiqué de presse de l’USS du 1er février 2024).

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Newsletter N° 189 – 14 février 2024 | Source : Perspective catholique